Anne Lopez par paquets de 5 !

Posted on 21 février 2011

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Difficile de faire passer les sentiments que m’amène « Feu à volonté » vu en cette fin février 2011 à l’Odéon de Nîmes sans poser quelque peu le décor de la pièce ; sa configuration, disons.

Feu à volonté est une pièce pour 5 filles. Evidemment, dit comme cela, on est tout de suite renvoyé à « Duel« , créé en 2011, qui était une pièce pour 5 garçons. Il y  beaucoup de l’esprit de « Duel« , notamment les entrées et une certaine communauté de situation théâtrale à l’intérieur du système. Les personnages se côtoient et « renvoient à un public sous-jacent » (note 1) avec des attitudes que l’on pourrait retrouver dans un certain théâtre comique ou au cirque. En cela, on retrouve ce que Anne dit depuis quelque temps. Elle est une « performeuse ». Les artistes que l’on voit dans ses spectacles ne sont pas plus des danseurs que des acteurs ou des musiciens. Ils agissent, point.

Mais la comparaison avec « Duel » se doit d’être tout de même assez limitée. Car cet état d’esprit, on le trouvait déjà dans « la Menace« . Evidemment, 5 garçons, 5 filles, deux spectacles qui se suivent immédiatement, cela pourrait avoir des rapports profonds. En fait, je pense que l’idée des cinq filles est effectivement venue après/à cause de « Duel« . Mais au fond, un chiffre pair ou impair compte moins dans cette pièce-là là que dans la figure du duel. D’ailleurs, bien plus que des duels, dans « Feu à volonté » ,on voit des solos, où le personnage se magnifie. On peut ainsi citer les deux les plus marquants. Un solo de catcheuse mexicaine et un solo de flamenco (Corinne Garcia). Les vocaux sont aussi plus biographiques que collectifs.

Une fois ces choses posées, on peut reprendre.

Les filles arrivent les unes après les autres sur scène, au son de la musique (dans une version assez grandiloquente) de l’adagio de la 3ème de Malher. La version est tellement grandiloquente que quand les filles (qui le jouent au début assez collectif, tout de même) piquent une grande crise de ce qu’il faut bien qualifier d’hystérie (je déteste ce mot, à la base, c’est un diagnostic de mec : c’est l’utérus qui leur prend la tête !) on se dit que cette musique est effectivement un moment de grande hystérie (Note 2). Ensuite, on a quelque chose d’assez singulier. Les filles se rhabillent dans des blouses bleues qui évoquent une condition ouvrière (même si je ne vois pas bien où on s’habille encore comme ça : peut être dans l’alimentaire. En tout cas, des filles aussi bien gaulées, avec des culottes qui méritent le détour et des jambes affolantes, cela se voit où, dans le monde réel ? On n’est pas loin du fantasme des infirmières nue sous la blouse. On va revenir à ce qui est un des problèmes du spectacle, la perception de ce qu’on voit).

Et là donc, se pose un premier problème (en plus de l’autre… ceci dit, une question amène une réponse, un problème amène des solutions ??? Ne faudrait-il pas dire question ? Oui ! Mais face à ce spectacle, je n’ai aucune réponse fiable, donc aucune « solution « !)

Cette évocation de la solidarité sera suivie d’images évoquant les symboles révolutionnaires, mais aussi les femmes objets. Les blouses seront abandonnées au bénéfice de vêtements plus intéressants. Il y a une possible direction d’analyse, qui pointe vers le passé militant du MLF. Mais évoquer ça revient sans doute plus simplement à la démarche de « Duel » : rappeler le passé, poser la question du : qu’est-ce qui fait qu’une chose n’est plus possible ?

Une autre question politique est abordée, mais en grande partie par les voix et le texte : la figure de l’étrangère. Il y a sur scène une japonaise, une estonienne, une hollandaise, une espagnole, etc. Là, on a envie de dire qu’il y a une dialectique entre l’individu et le général. On est unique, mais on est dans un flot continu. Mais diantre, on est aussi tout le temps dans la plaisanterie, dans l’entertainement !? Il faut se faire une raison. Anne Lopez donne l’impression de se moquer, de se distraire. En fait, elle interroge sans cesse. Pierre Desproges. Oui, un peu cet esprit d’humour sérieux.

Pendant tout le spectacle, je me suis dit « figures ». Parce que dès le début, j’ai pensé « figures de l’hystérie ». Et après évidemment c’est venu : « figures de la féminité ».

Et là tout le problème (celui évoqué plus haut) surgit. C’est un spectacle de fille ! Elle se voit comme ça, elle le compose comme ça. Et moi, le mec, je comprends quoi là dedans ? Probablement tout de travers ?!

De ce point de vue, je suis très impressionné. Jusqu’à présent, les spectacles de filles ne me paraissaient pas « terre étrangère ». Je trouvais quelque chose d’assez familier (y compris parce qu’il y a quand même pas mal d’auteurs féminins qui ont un fort coté homosexuel). Et là, je pense qu’on a changé d’ère. Les femmes ont quand même pas mal acquis de choses en quelques années et ça se sent.

Avec un tel degré de confusion mentale (qui m’atteint), faut-il parler de la danse ou faut-il parler du spectacle ? Faisant appel à 5 filles très différentes d’acquis physique et de morphologie, il y a forcément une immense variété stylistique. Rien n’est vraiment fait pour unifier, sinon par les éclairages et par un fil conducteur de scénario au-delà du geste. Donc je pense qu’il vaut mieux globaliser et parler du spectacle. Il a une dynamique propre qui est plus intéressante que celle de « Duel« . Il y a beaucoup plus de variété. Il y a un juste un trou d’air à l’avant-fin qui fait penser qu’il s’agit de la fin. Mais bon… C’est prenant et dynamique. Certaines personnes (des femmes) étaient pliées de rire. Les endroits où Anne nous mène sont assez surprenants et ce, uniquement à partir de la réflexion/sensation amenée par le spectacle : il n’y pas d’effets spectaculaires, il y a des corps qui bougent et qui parlent. Donc bravo.

Des remarques pour finir. Il s’agit d’un spectacle où les danseuses sont étrangères à Montpellier, même si on en connait certaines. La qualité générale des spectacles s’améliore à Montpellier et on prend de plus en plus les interprètes à l’extérieur. Ne faudrait-il pas y voir un lien de cause à effet ? Il est clair que la formation primaire est excellente (Porras !) mais y a-t-il encore une formation supérieure ? On peut en douter.

Enfin, je me suis dit que le spectacle d’Anne prenait un petit coup de vieux si on le comparait à celui de Yann. Celui-ci est tellement en prise avec les événements historiques (manifs, agitation généralisée, révolution tunisienne, etc.) que celui d’Anne faisait un petit peu penser à un coté antérieur, genre nombril de la société française. Des histoires de femmes, mouais… Mais en même temps, elle aborde quand même les mêmes questions (notamment : qu’est ce qu’un étranger ?)  et y répond avec le corps et la même liberté stylistique n’excluant pas la maîtrise et la culture.) Disons que la forme est moins dans le flux d’images actuel. Mais pour le reste, la bonne qualité émotionnelle et réflexive des spectacles des montpelliérain(e)s que l’on observe depuis, disons, un an est encore vérifiée. Il est clair que la danse montpelliéraine qui était passé par un sérieux trou d’air après 2003 est en train de reprendre du poil de la bête.

Note 1 : Il y a très peu de connivences avec le public. Mais il y en a un peu… et puis il y a la volonté de faire quelquefois des effets comiques suscitant des rires.

Note 2 : Je pense que rien n’empèche de voir le début de la pièce comme un « moment de bravoure » : Anne Lopez interprétant Malher. car la liberté de ton d’Anne, cet aspect performatif l’autorise à tout, justement.